Sophie Wahnich – « La Liberté ou la mort »

Sophie Wahnich – La Liberté ou la mort — Essai sur la Terreur et le terrorisme, Éditions La Fabrique, 2003.

Sophie Wahnich dans « La liberté ou la mort essai sur la Terreur et le terrorisme » propose une réflexion sur le « creuset rouge » de 1793 dont notre idéal démocratique est issu. Sophie Wahnich y expose clairement que dans les recherches  récentes consacrées à la Terreur, « le dispositif moral vient faire obstacle à la curiosité historique. » Elle a cette formule « La décontextualisation et la naturalisation du sentiment d’humanité règnent dans l’éternel présent de cette condamnation morale. »

Il s’agit des sentiments d’effroi, de colère et de tristesse, qu’évoquerait « naturellement » la Terreur révolutionnaire a posteriori, non seulement dans l’imaginaire collectif et chez les historiens contre-révolutionnaires, mais aussi chez les historiens contemporains. Avec la naturalisation du sentiment d’humanité qui consacre aujourd’hui la victoire de Desmoulins sur Robespierre, il est devenu difficile d’aborder scientifiquement la Terreur, en toute neutralité et il est devenu difficile voir impossible de ne pas  exprimer, même de manière inconsciente, un jugement émotif et normatif,  et cela rend impossible toute tentative d’explication, pis cela la rend pour certain moralement indéfendable ..
C’est le danger qui, si nous n’en sommes pas conscient, peut oblitérer la recherche scientifique et la compréhension d’un phénomène qu’il est évidemment réducteur de vouloir enfermer dans une simple psychopathie sociale.  Sophie Wahnich évoque ainsi l’ombre que fait peser sur toute tentative d’approche rationnelle la « figure du mal historique ». Selon elle, avec cette ombre portée qu’on est tenté de qualifier de manichéenne, « Le débat scientifique, historique au sens historiciste du terme, devient zone interdite. » 

Or ce phénomène, présent depuis quelques temps déjà chez les historiens de la révolution française, existe actuellement concernant les actes terroristes de 2015. Il est même utilisé pour légitimer l’état d’urgence :
– décontextualisation
– naturalisation du sentiment d’humanité 
– condamnation morale 
Ces principes s’imposent au détriment de l’interrogation, de l’approche scientifique et de la recherche d’explication.

Sophie Wahnich conclue son bel ouvrage par une évocation de g. W. Bush qu’elle intitule « d’une autre sacralité politique » et qui reprend les discours de Bush après 2001, quand, cible des attentats, le « corps sacré » des États Unis a été assassiné. La réplique est terrible et porte en germe les règles d’un nouveau droit fondé sur la répression et l’incarcération « préventive » (quelle horreur! ) : Guantanamo. Et Sophie Wahnich de citer pour conclure Walter Benjamin et sa « critique de la violence ». « L’ignominie de la police tient à l’absence de toute séparation entre la violence qui fonde le droit et celle qui le conserve ». Aujourd’hui, en France, on en est plus très loin…  D’autant qu’on n’a même plus besoin de la droite ou de l’extrême droite maintenant pour faire ce genre de choses. La gauche fait ça très bien toute seule.

Alors si ce n’est pas aux politiques que l’on va demander de réfléchir (!), au moins peut-on rappeler qu’il en est pour qui c’est le métier : prendre du recul, chercher à comprendre, tenter d’expliquer, essayer de rationaliser … et qu’il pourrait être judicieux voir salvateur de les écouter avant qu’il ne soit trop tard.

RSM