Le statut des conservateurs du patrimoine face à une administration procrastinante

La signature en 2016 du protocole « PPCR » (Parcours professionnels, carrières, rémunérations ») devait permettre la revalorisation des grilles indiciaires et améliorer l’architecture des déroulés de carrière. Pour les conservateurs du patrimoine, le décret d’application était initialement prévu pour 2019, avant que ce calendrier soit repoussé à 2020 par la nouvelle majorité présidentielle (celle qui a supprimé l’impôt sur la fortune dès 2017 et repoussé aux calendes grecques ses autres promesses fiscales, telles que la suppression de la taxe d’habitation). Comme souvent au Ministère de la Culture, ce calendrier déjà pas fameux s’est enlisé quelque part aux Bons Enfants. La première réunion de présentation aux organisations syndicales des intentions du service des ressources humaines n’avait été tenue que le 10 juillet 2019 et la seconde vient d’avoir lieu le 11 février 2021. Ces 18 mois de retard génèrent un nouveau calendrier, suivant lequel le nouveau décret nous est promis au mieux pour cet été 2021 et ne sera évidemment pas rétroactif.

Mais que s’est-il donc passé pendant ces 18 mois (dont 8 mois sans aucune contrainte pandémique) qui expliquerait ce retard ? A-t-il fallu attendre que la DGAFP (la direction générale de la fonction publique) donne son avis sur les demandes unanimes des organisations syndicales de disposer enfin d’une grille indiciaire digne de ce nom ? Les enjeux de nos demandes de réécriture étaient-ils tels qu’ils nécessitaient des arbitrages du cabinet de la ou du ministre ? A priori, rien de tout cela, puisque l’administration nous a présenté le même texte qu’en juillet 2019, que nous avons posé les mêmes revendications et que la réponse aux sujets prioritaires a été à nouveau renvoyée à des « arbitrages à haut niveau » et à des consultations de la DGAFP, qui nous avaient déjà été promis en 2019. Il semblerait surtout que le secrétaire général du Ministère, le chef du service des ressources humaines, le sous-directeur des métiers et des carrières et le chef du bureau de la filière scientifique étant nouveaux, ils n’ont pas su retrouver les dossiers de leurs prédécesseurs.

Comme en 2019, l’administration nous propose un alignement des grilles indiciaires sur celles des conservateurs des bibliothèques, le report de l’obligation de mobilité des conditions de promotion au grade d’en chef à celles pour la promotion au généralat et la création d’une épreuve adaptée du concours d’entrée pour les titulaires d’un doctorat. Il serait également créé un échelon supplémentaire « spécial » pour les conservateurs généraux en fin de carrière ayant exercé huit ans « dans des fonctions supérieures d’un niveau particulièrement élevé de responsabilité ».

Comme en 2019, nous avons rappelé à l’administration qu’à part le nom, nous n’avions pas grand-chose de commun avec les conservateurs de bibliothèque et que nous maintenions notre revendication d’un alignement avec la grille des architectes et urbanistes de l’Etat, avec lesquels nous partageons un certain nombre de missions au sein des DRAC (en particulier CRMH, directions de pôles Patrimoines, directions de DRAC) et la même grille RIFSEEP. Sur ce point essentiel, nos revendications d’un échelon supplémentaire, le 8e, pour la classe normale et d’un échelon hors-échelle B pour le grade des en chef ont été renvoyées à un hypothétique arbitrage de la DGAFP (tout en brandissant la menace qu’un alignement sur la grille des AUE conduirait à un embouteillage des promotions au généralat, sur la base d’une simulation chiffrée promise en 2019, mais jamais fournie). Il faut préciser que le temps de discussion consacré à cette question essentielle a été plus que réduit et n’a pas permis de discuter d’autres points aberrants, comme la quasi-absence d’évolution indiciaire entre les 4e et 5e échelons de conservateur en chef.

L’autre point essentiel était l’exigence de l’obtention du master pour le passage du concours externe (au lieu de la licence). La réponse à cette revendication, qui paraît d’évidence au vu des missions des conservateurs et des compétences nécessaires, a été la crainte de l’administration que cela conduise à réduire la durée du séjour à l’INP… Devant l’insistance unanime des organisations syndicales et le rappel que l’INP a justement besoin d’afficher le haut niveau de formation académique initiale des conservateurs stagiaires pour être reconnue par les écoles équivalentes en Europe et à l’étranger, l’administration a renvoyé à un « arbitrage de haut niveau », dont on se demande s’il aura jamais lieu.

Quelle que soit l’issue de ce combat pour une vraie reconnaissance du positionnement du corps des conservateurs du patrimoine dans la fonction publique, il faut néanmoins saluer la validation de revendications anciennes et trop longtemps différées.

La principale est la suppression de l’obligation de mobilité pour être promouvable au grade d’en chef. Cette condition à la promotion avait été introduite par le décret de 2007 et avait l’effet pervers d’encourager les jeunes collègues à quitter rapidement leur premier poste. Elle conduisait en outre à de grandes injustices, l’administration écartant à ce titre certains collègues du tableau des promouvables tout en n’étant pas capable de garantir que tous ceux y figurant avaient effectivement changé d’affectation depuis leur entrée dans le corps, le tout dans l’opacité permise par la non publication du dit tableau. Lorsque le décret sera publié, cette obligation tombera. Ce seront les conservateurs en chef qui devront avoir été mobiles (ou seront réputés l’avoir été pour ceux ayant été promus d’ici la publication du décret) pour être promouvables au généralat.

La portée de certaines des autres avancées a été amoindrie par la pusillanimité de l’administration. La reconnaissance du doctorat sous la forme de la création d’une épreuve adaptée pour les docteurs et d’une bonification d’ancienneté de deux ans aurait pu être l’occasion d’étendre cette mesure à tous les docteurs conservateurs (dont beaucoup ne pourront pas cumuler les annuités nécessaires pour partir à la retraite à taux plein avant 67 ans), mais il paraît que la loi Fioraso ne le permet pas.

De même, les années passées en territoriale ou à la Ville de Paris pourront compter pour avoir l’ancienneté nécessaire pour intégrer le corps via le tour extérieur, mais pas question d’ouvrir le tour extérieur aux contractuels que sont les collègues de l’INRAP (« L’article 23 de la loi sur la fonction publique ne le permet pas »).

Ce que permet en revanche la loi sur la fonction publique (ou plus exactement sa version macronienne que la FSU a combattu), c’est de renvoyer à un arrêté la composition de la Commission d’évaluation scientifique. Face au refus des organisations syndicales unanimes, le décret continuera à préciser que la CES sera composée à parts égales de représentants élus et de personnalités qualifiées et que toutes les spécialités, y compris le PSTN, seront représentées. Son mandat ne pourra être réduit. Les conservateurs territoriaux seront enfin dispensés de passage en CES s’ils candidatent sur un poste relevant de leur spécialité.

Outre ces points importants, le toilettage du texte existant a surtout porté sur l’article 3, qui liste les missions des conservateurs. L’administration refuse l’usage du terme de « chercheur », réservé aux seuls titulaires du doctorat, mais a accepté d’intégrer la formulation « Ils participent et contribuent à la recherche et à son développement », qui reconnaît mieux notre caractère d’acteurs de la recherche (et pas seulement de son développement). Il n’a par contre pas été possible d’avancer sur des formulations reconnaissant, à l’instar des AUE, notre capacité à exercer des fonctions supérieures de direction, d’encadrement, de contrôle et d’expertise. L’exposé de ces missions reste cantonné aux articles 4 et 5, spécifiques aux conservateurs en chef et généraux, ce qui sous-entend que seuls les grades supérieurs de notre corps relèvent de l’encadrement supérieur et donc de la catégorie A+. Le SNAC-FSU a demandé que le décret soit construit de manière similaire à celui sur les AUE, que les articles 3, 4 et 5, sur les missions soient ainsi fusionnés et placés en tête du décret, avant l’article sur la composition en grades. C’est la seule manière d’obtenir que nous soyons, sans réserve, placés au même niveau que les AUE et le SNAC-FSU continuera à revendiquer cet alignement.

Dans l’immédiat, les organisations syndicales attendent de l’administration une nouvelle version du décret pour voir si les arbitrages « en haut lieu » valident les échelons supplémentaires demandés et le niveau master pour le concours externe, ce qui serait bien le moins pour un texte promis depuis deux ans et retardé par l’administration. Le projet du SRH est de soumettre cette version au comité technique ministériel de juin 2021, avant examen par le Conseil d’Etat et publication avant la fin de l’été pour permettre l’élection d’une nouvelle CES et l’organisation d’un tour extérieur avant la fin de l’année 2021. Si tout va bien, l’application du protocole PPCR au corps des conservateurs du patrimoine aura donc un ou deux ans de retard sur le calendrier prévu en 2016. Dans ces conditions, il serait important que la qualité du texte final et les avancées en termes de rémunération compensent ce retard, qui est entièrement du fait de l’administration.

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