Heurs et malheurs de la « fonction RH » au ministère de la Culture

Il fut un temps, celui du Service du Personnel et des Affaires sociales (SPAS), avant le néo-management agressif, où les rapports entre les agents du ministère et les services chargés de gérer leur carrière, leur paye, leur retraite, étaient non seulement des rapports simples, chaque agent connaissait ses gestionnaires qu’il pouvait appeler en cas de problème, mais surtout des rapports humains, de personne à personne.

Puis vint la montée en puissance des « ressources humaines » et du Service des Ressources Humaines (SRH) créé en 2010. Côté syndical, on continuait bien à représenter « les personnels », mais côté administration les responsables du personnel devenaient, qu’ils le veuillent ou non, des « responsables RH », chargés de gérer non plus des collègues mais une ressource. Or une ressource, ça s’exploite, ça s’épuise, et surtout ça se tait.

Aujourd’hui, aucun d’entre nous n’est censé connaître ses gestionnaires au niveau de la centrale, et surtout il est interdit de leur parler. Tout passe par le « réseau » des « RH de proximité ».

« RH de proximité », voilà la dernière invention des réformateurs zélés qui se sont penchés depuis vingt ans sur le problème de la direction du personnel dans l’idée de la moderniser. Disons-le d’emblée, les collègues qui se retrouvent chargés de cette fonction ont dans leur grande majorité un vrai souci de leurs collègues, ils et elles ont à cœur de faire avancer les dossiers, de résoudre les difficultés et de répondre aux questions. Le problème est : avec quelle efficacité et à quel prix ?

La proximité : une orientation démagogique

Le principe affiché était la déconcentration : il n’y a aucune raison pour que des actes de gestion concernant les agents d’un établissement public ou d’une DRAC soient pris au ministère, c’est long, c’est loin, alors qu’ils peuvent être instruits dans le bureau d’à côté, « au-plus-près-du-terrain ». L’argument « un RH de proximité connaît mieux vos problèmes » semble donc imparable et le progrès paraît indiscutable.

Sauf que :

– certains de ces actes requièrent une technicité qui ne s’improvise pas, que le service RH de centrale avait fini par capitaliser, et que la déconcentration a en grande partie liquidée. Les « RH de proximité » ont beau être bien formés et plein de bonnes intentions, ils ne peuvent pas être spécialistes de toutes les questions RH…

– si dans les gros établissements les « RH de proximité » sont des professionnels, souvent issus de la centrale et disposant d‘un « service RH » local, dans certains petits SCN ou dans certaines DRAC le « RH de proximité » est un agent tout seul qui n’a rien demandé et à qui ce rôle a été attribué sans souci de vérifier s’il a la formation, les compétences, le goût, mais aussi le réseau lui permettant de remplir ces fonctions…

– le principe de neutralité est aussi malmené que le principe d’égalité : vous êtes dans un gros EP ou dans un SCN, vous n’êtes pas traité pareil, mais si en plus votre tête ne revient pas au « RH de proximité » ou à votre hiérarchie commune, vous serez toujours en situation de soupçonner un traitement défavorable à votre égard…

– le fameux « réseau RH » a des trous. Lorsqu’il s’est agi par exemple de diffuser un appel à candidatures pour le dernier renouvellement de la commission d’évaluation scientifique des conservateurs, le bureau de gestion a eu l’idée baroque de faire appel au « réseau RH » plutôt que d’envoyer à chacun les documents, comme il le faisait jadis. Résultat : certains conservateurs ont eu l’info à temps, d’autres avec du retard et d’autres pas du tout.

Comment en est-on arrivé là ?

Cette organisation boiteuse, un peu Shadock, est le fruit d’une évolution progressive au cours de laquelle les hauts responsables du ministère ont pris des décisions et mis en œuvre des politiques avec une telle légèreté, et parfois une telle arrogance, que l’on peut s’interroger sur la part de dogmatisme et la part d’incompétence qui a conduit à ce gâchis. En tout cas, pour être gestionnaire RH par les temps qui courent, il faut une bonne dose d’optimisme et le « RH de proximité » sert désormais d’interface, et dans les cas problématiques un peu de fusible, entre les agents et un système devenu totalement opaque.

On peut évoquer les principales étapes de cette histoire :

La proximité n’a pas toujours été de mise. Dès 2007, l’État a commencé à investir dans le projet de l’office national des payes (ONP). Le chantier, lancé en 2011 par le Ministère, a conduit à faire remonter en centrale un certain nombre d’actes qui, jusqu’alors, étaient instruits dans les DRAC et dans certains établissements. Du coup, des emplois RH disparaissent des DRAC et des établissements en question sans pour autant être transférés dans leur totalité en centrale.
Puis le projet de l’ONP, projet interministériel, se casse la figure en 2014 et l’on inverse la vapeur : après la remontée en centrale, place à la déconcentration, dans un premier temps en allongeant la liste des établissements publics qui gèrent eux-mêmes leurs personnels, les derniers en date Centre des Monuments Nationaux (CMN), Château de Versailles et Musée d’Orsay, et plus tard en inventant ces fameux « RH de proximité ». Au passage, le plafond d’emplois RH de la centrale est diminué, alors que celui des services désormais chargés des opérations n’est pas augmenté dans les mêmes proportions…

Donc moins de monde pour faire le même travail. Vient alors à nos hauts responsables une idée géniale : fusionner les métiers. Il y avait jusqu’alors en centrale des gestionnaires de paye et des gestionnaires de carrière, désormais tout le monde fait un peu tout. Nous, on appelle ça un grand bazar, en langage énarque ça s’appelle « la bi-compétence ».

Et comme les gestionnaires sont moins nombreux, il faut les faire travailler davantage. Nouvelle idée géniale : il suffit de les mettre à l’abri des agents, faire en sorte qu’ils puissent se concentrer sur les dossiers sans être dérangés toutes les cinq minutes par les collègues. Et c’est la mise en place du « contact RH » en 2012 : les lignes directes des gestionnaires disparaissent des annuaires et les agents disposent d’un numéro unique pour appeler en cas de souci. On crée donc une barrière avec une interface qui centralise les demandes. Du côté des gestionnaires, on gagne certes un peu en tranquillité mais on perd le contact avec les agents ; avant on connaissait les collègues, dorénavant on gère des abstractions sur tableau Excel. Du côté des agents, le service des ressources humaines devient une entité abstraite, une bureaucratie de plus.

Et puis le « contact RH » disparaît fin 2016. Dorénavant les « RH de proximité » qui, jusque-là, géraient des choses simples comme les congés sont censés remplacer la plate-forme. La consigne est claire : « pour toute question concernant votre carrière, adressez-vous à votre « RH de proximité » ».

L’usine à gaz

Et là on entre dans le grand n’importe quoi. Les « RH de proximité » sont censés répondre à tout, tout transmettre, tout résoudre, et quand ils ne savent pas répondre, aller chercher l’info et la solution là où elle se trouve.
Problème : contrairement à d’autres ministères mieux organisés où le « RH de proximité » a un interlocuteur en centrale qui traite ses demandes, chez nous le « RH de proximité » a autant d’interlocuteurs qu’il y a de dossiers, à lui ou elle de se débrouiller pour trouver le bon.
Alors évidemment, si le « RH de proximité » est un pro et/ou un ancien de la centrale, il connaît tout le monde et il sait à qui s’adresser pour résoudre les problèmes. Dans le cas contraire, il bricole. Soit il enterre les dossiers et ne fait rien, soit il passe son temps à chercher de l’aide auprès des collègues.

Quant aux agents, voyant que ça ne marche pas, ils font exactement la même chose : s’ils connaissent un peu de monde, ils contournent le système en appelant le copain qui connaît le collègue qui connaît la bonne réponse.
Autrement dit, l’administration a réussi à mettre en place une usine à gaz qui incite à tous les contournements. Pour régler les problèmes, les siens comme ceux des collègues, on se retrouve contraint à contourner les règles. Le bricolage est interdit mais il se retrouve imposé de fait aux agents comme aux RH. Il est vrai que nous sommes un ministère d’artistes !

Les bureaux de gestion à la sauce néolibérale

Dernière innovation, comme si cela ne suffisait pas : l’organisation des bureaux de gestion de la centrale a été totalement chamboulée.
Jusqu’ici ils suivaient une logique de métiers. Le bureau des personnels administratifs, celui des personnels techniques et celui des personnels scientifiques s’occupaient de la carrière des agents des corps concernés et avaient acquis une certaine maîtrise dans les techniques de gestion correspondant à des situations d’emploi liées à des filières (la carrière d’un scientifique ne s’organise pas de la même manière que celle d’un administratif).
Avec la réforme des CAP, et le refus teigneux de la hiérarchie de maintenir des CAP de corps, s’est imposé un nouveau mode d’organisation non plus par filière mais par catégories : un bureau pour les personnels « A+ », un bureau pour les « A » et un bureau pour les « B et C ». Autrement dit : un bureau pour les riches, un bureau pour les pauvres et un bureau pour les ni riches ni pauvres, avec l’administration qui nous explique sans rire que la qualité de la gestion sera la même pour les « A+ » et pour les « B et C » (on adore quand ils nous prennent pour des buses…).

Pour le coup, on ne peut pas les accuser d’incompétence, on est juste en plein dogmatisme. L’abandon des filières, la mise au pas des métiers et le pilotage par catégories colle parfaitement avec la doxa néolibérale : « n’écoutez pas les professionnels, empêchez-les de peser sur les décisions, sinon vous ne pourrez jamais réformer et moderniser ». Là, il faut dire que c’est réussi, la hiérarchie n’écoute plus personne.

Les concours

Ce parti pris idéologique apparaît nettement lorsque l’on considère ce qui constitue le cœur de la fonction RH : le recrutement.
Le bureau des concours a toujours été, depuis que le ministère existe, en charge d’une tâche extrêmement compliquée due à la grande variété des métiers du champ de la Culture et de la spécificité des concours qui donnent accès aux corps de spécialistes dont nous avons besoin.
Les concours des corps interministériels (administratifs) sont désormais délégués aux ministères de la sphère éducative, solution paresseuse qui rend la vie impossible aussi bien aux candidats qui se demandent pourquoi ils doivent s’inscrire dans telle ou telle « académie » qu’aux services d’affectation qui se retrouvent eux aussi dans l’embarras, en raison de la même logique « académique », pour l’établissement de la liste en sortie de concours.
Les concours proprement « Culture » sont organisés soit par un établissement ad hoc (l’INP pour les conservateurs) soit par le bureau des concours. C’est donc là que se trouvent les forces vives chargées du renouvellement des corps spécialisés dans le domaine culturel.
Il y a encore quatre ans, ils étaient dix gestionnaires à s’occuper de l’organisation de l’ensemble de ces concours, tâche énorme qui comprend le recrutement, le défraiement et la formation des jurys, la publication des ouvertures de concours, l’enregistrement des candidatures, l’organisation des épreuves (tâche particulièrement délicate pour des concours à spécialités multiples et à spécialités rares comme les concours « recherche » ou « métiers d’art »), l’établissement des listes de sortie de concours (listes principales et complémentaires), etc.
Sur ces dix gestionnaires, quatre sont partis et n’ont pas été remplacés, ceux qui restent sont soumis à une pression intolérable qui les amène tout droit au surmenage.
Et comme si cela ne suffisait pas, on leur refait le coup de la fusion des métiers en ajoutant à leurs missions la pré-affectation des lauréats, travail qui n’est ni de près ni de loin dans leurs fiches de poste, pas plus que dans leurs compétences. Total : certains agents continuant à travailler pendant des arrêts maladie par peur de surcharger les collègues.

Or il apparaît que cette situation scandaleuse n’est pas due à une conjoncture accidentelle mais bien à une orientation politique, en d’autres termes elle est assumée et délibérément organisée par la hiérarchie.
Nous avons à maintes reprises alerté l’administration, le cabinet, la ministre, sur l’urgence à revitaliser la fonction RH et notamment le bureau des concours. Une interpellation directe de la FSU a été conduite en ce sens au cours du dernier CTM. La réponse du secrétaire général a été sans équivoque : la loi de transformation de la fonction publique permettant le recours accru au contrat, il n’est pas envisagé de renforcer le bureau des concours dont le travail devra se concentrer sur les recrutements dans les corps « régaliens », les autres fonctions (notamment les métiers d’art) pouvant fort bien être pourvues par du recrutement de gré à gré.

Donc, comme d’habitude, on laisse les situations se dégrader pour pouvoir ensuite, en douceur, réformer dans le sens d’une politique décidée au départ mais jamais annoncée clairement, une politique qui met les agents en insécurité, et souvent en stress aigu, et qui mène le service public sur la voie de la « modernisation » néolibérale et de la privatisation généralisée.
Ce contre quoi nous luttons.

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