« Expliquer, est-ce excuser ? En quoi Manuel Valls trahit les les valeurs de la République »

Compte rendu de l’article paru dans l’Humanité.fr le 2 février 2016.

« Pour ces ennemis qui s’en prennent à leurs compatriotes, qui déchirent ce contrat qui nous unit, il ne peut y avoir aucune explication qui vaille. Car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser », avait déclaré Manuel Valls lors de la cérémonie du souvenir des quatre victimes de l’attaque de l’Hyper-cacher porte de Vincennes le 9 janvier 2015.

Dans l’Humanité.fr , quatre chercheurs en sciences sociales répondent à Manuel Valls.

http://www.humanite.fr/expliquer-est-ce-excuser-en-quoi-manuel-valls-trahit-les-les-valeurs-de-la-republique-597651

Leurs réponses, au-delà de la formule liée dans sa forme au terrorisme, montrent comment elle s’insère dans le confortement d’un ordre libéral encore renforcé par le projet de loi El Khomri.

Pour Bernard Lahire, professeur de sociologie à l’ENS de Lyon, c’est un « rappel à l’ordre antidémocratique » qui reprend les thèmes classiques sécuritaires et autoritaires de la droite et de l’extrême-droite. Valls ne s’attaque pas simplement aux intellectuels cherchant des explications à tout prix. Tout le monde doit faire bloc derrière le gouvernement et son arsenal de mesures sans s’interroger et encore moins contredire les décisions gouvernementales, et les explications qu’il a lui même fournies, à savoir que les djihadistes s’attaqueraient au modèle culturel français, ignorant ainsi les attaques perpétrées dans d’autres pays, dont des pays arabes.
M. Valls remet en cause la liberté d’expression, qui est d’abord celle de s’interroger, mettre en doute, discuter. Il s’en prend au rôle de l’école qui est d’apprendre à argumenter, expliquer, critiquer. Il trahit bien sûr les valeurs de la gauche en refusant toute explication de nature historique, sociale ou culturelle ; et enferme le pays dans une logique de guerre.

Laurence De Cock, professeure, fondatrice du collectif Aggiornamento histoire-géographie, analyse les propos de Valls en tant que pédagogue, et dénonce « la vérité officielle » qu’ils recouvrent.
L’historien se doit de rendre compte des désastres passés « qui ne sont malheureusement pas inhumains – trop facile ! – mais désespérément humains ». Et il doit démêler, expliquer les phénomènes, les mécanismes qui y ont conduit. Qu’il s’agisse du nazisme, de la traite des Noirs ou de bien d’autres événements sordides, l’historien se doit d’analyser les conditions politiques, sociologiques qui les ont rendu possibles. Il en est de même pour les événements actuels et empêcher cette démarche c’est « déposséder une société de l’intelligibilité d’elle-même » et ouvrir la voie au suivisme derrière une vérité officielle, confisquer la possibilité de la contestation d’un ordre dominant et torpiller le socle démocratique du projet républicain.

Pour Willy Pelletier, sociologue à l’université de Picardie, Fondation Copernic, M. Valls ne fait que poursuivre un programme entamé il y a plusieurs années lorsqu’il était ministre de l’Intérieur. M. Valls, « ami des patrons », « premier flic de France » entonne le credo des parvenus bien-pensants : on ne doit chercher aucune explication à l’action des terroristes qui sont avant tout coupables, comme les chômeurs le sont de leur manque d’initiative, les enfants rejetés du système scolaire de leur paresse, et les habitants des cités délaissées de leur laisser-aller individuel.
Les individus n’héritent ni de leur classe sociale, ni de leur culture ; ils sont libres de choisir leur voie, vers la réussite ou de s’enfoncer dans la médiocrité. Reste à la décharge de M. Valls les leçons de Marx montrant combien « les dominants sont dominés par leur domination ».

Enfin Robert Charvin, juriste international, ancien doyen de la faculté de droit de Nice, dénonce l’inculture de la gauche au pouvoir qui ne plaide que pour « le renoncement à toute transformation sociale ». Pour lui, les dirigeants, et le gouvernement Valls, suivent la voie ouverte par N. Sakorzy dans son discours de Dakar sur l’Afrique, « le savoir n’a pas sa place dans la pratique gestionnaire », « le refus de savoir devient une vertu politique ».
La formule « culture de l’excuse » n’est pas seulement un non-sens stupide ; c’est une manifestation d’obscurantisme condamnant le savoir-social, et confortant les tendances néo-conservatrices.
La volonté politique dominante joue sur l’émotivité de la société pour faire accepter n’importe quoi aux citoyens, et leur faire oublier la mise en place d’un système dont la seule logique est l’argent.
Le rôle des chercheurs en sciences sociales, entre autres, est d’expliquer les comportements des dirigeants socialistes et de « dévoiler leurs objectifs de destruction de toute la gauche par leur pratique systématique d’insertion dans un système d’inégalités forcenées ».

MAC