Enquête télétravail : les motifs de refus

Analyse qualitatives des motifs de refus

A l’analyse, une des questions les plus riches en termes de commentaires, et qui pour cette raison retient particulièrement notre attention, est la suivante : « En cas de désaccord au regard de votre demande, quel motif vous a été opposé ? »

Rappelons que le taux moyen des réponses positives aux demandes de jours de télétravail est de 83 %. De l’avis général des collègues, ça se passe donc plutôt bien. Les lignes qui suivent ne doivent pas être lues comme la volonté d’établir une critique à tout prix mais comme la présentation de cas, parfois de cas limites, qui même minoritaires sont révélateurs de tendances lourdes au sein d’une partie de l’encadrement, et qui s’inscrivent dans un style de management dont la transparence n’est pas la qualité première.

Rappelons d’autre part qu’il ne s’agit pas ici de nous prononcer « pour » ou « contre » le télétravail, mais d’observer, au travers de ce questionnaire, la manière dont les hiérarchies répondent aux demandes des collègues et d’évaluer dans quelle mesure leurs droits sont respectés.

Refus et restrictions

Concernant les motifs de refus, cent cinquante sept d’entre vous ont coché une des cases de réponse, soit un peu moins d’un quart des collègues ayant répondu qu’ils avaient demandé des jours.
Trente neuf ont coché la case «  Nécessité de service argumentée  », soixante dix-huit ont coché la case «  Nécessité de service sans explication  ».

Les « nécessités des service » sont donc de loin l’explication la plus souvent donnée par les directions, loin devant les «  missions incompatibles  » (vingt-huit occurrences), le «  manque de personnel  » (sept), ou encore «  trop de demandes pour les mêmes jours  » (cinq).

Bref, les « nécessités de services », argumentées ou non, constituent la justification préférée des hiérarchies qui renâclent à accorder des jours de télétravail. Le fait que dans deux cas sur trois la justification a été donnée sans explication révèle un malaise évident. Que le refus d’argumenter relève d’une conception autoritaire du lien hiérarchique ou de l’embarras de directions un peu dépassées pose de toute façon le problème de la manière de traiter une demande dont le volume a explosé et qui interroge en profondeur l’organisation du travail.

 

La directive secrète

« On nous a dit que c’était « deux jours » et pas autre chose, en raison d’une circulaire du SG qu’on nous a promise et qu’on n’a jamais vue ».
Tout le monde a pu le constater : le ministère et ses établissements publics ont décidé de limiter le télétravail à deux jours par semaine, là où l’accord interministériel du 13 juillet 2021 autorise trois jours. On peut comprendre qu’il existe des raisons à cela en termes de cohérence des collectifs de travail comme de continuité du service, mais là n’est pas le problème, ce n’est pas le fond qui pose question mais la méthode.

« On nous a dit … », « On m’a fait comprendre que… », « pas de réelle explication donnée, « ce sont les consignes » », telles sont les expressions qui reviennent continuellement dans les commentaires. Et plus précisément : « En off, la véritable raison était : « doctrine imposée par le secrétaire général » ».

C’est en effet un secret de polichinelle que des instructions ont été données à l’ensemble des services et établissements visant à limiter le télétravail. Comme, parallèlement, le principe d’un accord ministériel sur le sujet a été énergiquement refusé par le même secrétaire général, on peut s’interroger sur la cohérence (et sur la bonne foi) de la méthode : d’un côté le problème est renvoyé à des accords de proximité « au plus près des services » et de l’autre des instructions ayant pour effet de limiter les droits des agents sont données en douce.

Car si encore cette limitation avait vraiment fait l’objet d’un texte ! Mais l’ensemble des commentaires pointent dans le même sens : tout se fait à l’oral, à tous les niveaux de la hiérarchie. « Les réponses sont verbales mais aucun écrit malgré les demandes formulées par mel pour demander trois jours de télétravail », « Trois jours en présentiel imposés uniquement oralement. Aucune note ni mail justifiant officiellement le choix de la direction ». Etc., etc.
Visiblement, le « on nous a dit » est un nouveau venu dans le répertoire réglementaire de l’administration française. On connaissait le texte de loi, le décret, la circulaire, la note, maintenant on a le « on nous a dit ».

 

La tutelle (in)flexible

Et la méthode, bien que très contestable, se révèle exceptionnellement efficace : rappelons que chaque fois que nous, syndicats, avons demandé au secrétaire général ou au cabinet d’intervenir dans un service ou un établissement parce qu’une hiérarchie toxique rendait la vie des agents impossible, ils ont botté en touche en invoquant l’autonomie des directions locales. Cette fois-ci au contraire la tutelle s’exerce de manière parfaite, et sans même qu’il soit besoin de faire une note, juste « on leur a dit » de limiter à deux jours.

Autrement dit : quand la tutelle devrait s’exercer au bénéfice des agents, elle est aux fraises, mais quand il s’agit de leur retirer des droits, elle prend une tout autre dimension.

Et naturellement cela met une ambiance délicieuse dans les services : « Ma cheffe de bureau était d’accord pour trois jours fixes avec, de ma part, la possibilité de venir dès que nécessaire sans problème. Il semblerait que l’obligation de passer à deux jours fixes uniquement vienne de plus haut ».

Et oui, ça vient de plus haut, et comme on est dans le flou, sans texte, sans rien pour discuter, il est difficile de résister : « Il m’a seulement été répondu que la règle était de deux jours de télétravail. », que voulez-vous faire contre une décision à la fois autoritaire et insaisissable ? C’est comme ça !

Et le « on nous a dit » est tellement efficace qu’il invite à l’autocensure : « Il nous a été clairement demandé de faire des demandes à deux jours car à trois jours elles seraient refusées automatiquement ». Au vu de l’enquête quantitative, on se demandait pourquoi autant de demandes portaient sur deux jours, et bien voilà, on sait, il a été clairement (tu parles!) expliqué qu’à trois jours, c’était niet.

 

Sanctuarisation

Si le « on nous a dit » du secrétaire général fonctionne si bien, c’est sans doute parce qu’il rencontre quelques prédispositions de certaines hiérarchies locales, pas toujours très promptes à laisser les agents travailler à distance.
La « sanctuarisation » de jours fixes où tout le monde est physiquement présent est un thème récurrent des commentaires.

Cette organisation du travail peut d’ailleurs parfaitement s’entendre si le point est discuté en instance et fait l’objet d’une décision partagée, mais tel n’est pas toujours le cas. Ainsi, dans un établissement public du centre de Paris, on note : « une obligation de présence d’au moins un agent chaque jour dans chaque service, une obligation de présence dans les locaux le mardi pour tous, interdiction d’un jour de télétravail le mardi donc », ceci sans aucune discussion ni justification. Ailleurs (dans une DRAC) : « Pas d’autre choix que le mercredi et jeudi dans le service ».

Bien sûr, les contraintes diffèrent d’un endroit à l’autre, mais on a quand même globalement l’impression qu’une fois alignée sur la position (non écrite) de « pas plus de deux jours », chaque direction locale fait un peu sa petite sauce dans son coin.

En centrale, donc plus proche de la source du « on nous a dit », la contrainte se fait plus précise : « Demande express de ne demander que deux jours et pas trois avec une précision  : un seul jour proche du We, il a été dit que le secrétaire général ne souhaite pas voir des bureaux vides les lundis et les vendredis ».

 

« Continuité » et « cohésion »

Lorsque des justifications de refus sont données, elles relèvent le plus souvent de la « continuité du service » ou de la « cohésion d’équipe ». Ces raisons sont bien sûr entendables mais le caractère flou de leur formulation, qui repose sur des principes très généraux, fait craindre qu’elles soient le plus souvent l’expression d’une position a priori destinée à clore une éventuelle discussion plutôt qu’à l’enrichir.

Lorsqu’elle est avancée sans nuance, la « cohésion d’équipe » peut rencontrer un certain scepticisme, ainsi dans une DRAC : « Le refus du troisième jour a été motivé par ma hiérarchie pour conserver un « collectif de travail  » alors que nous avons prouvé depuis deux ans que nous savons préserver ce collectif à distance. »

Parfois, la situation vire carrément à l’absurde, dans certains services de centrale « Il est demandé pas plus de deux jours soit disant pour cohésion des équipes sauf que mes collègues (reste à définir lesquels !) n’ont pas les mêmes jours de présentiel que moi. »

Au nom de la « cohésion d’équipe » et de la « continuité du service », on rencontre parfois des restrictions assez exotiques. Ainsi, dans un grand EP du centre de la capitale, « Les jours demandés ne peuvent être accolés entre eux ni accolés aux weekend. » Comme dans le cas du secrétariat général, on perçoit comme une suspicion de glandouillage, il ne faudrait quand même pas que les agents profitent du télétravail pour allonger leurs week-ends…

Rappelons que l’analyse quantitative révèle une légère baisse du taux de satisfaction (de l’ordre de quatre points ) pour le lundi et le jeudi dans le cas des femmes et une baisse beaucoup plus importante (de l’ordre de quinze points) concernant le lundi et le mercredi dans le cas des hommes. Le vendredi est le jour le plus demandé et cette demande est plutôt accueillie avec bienveillance par les hiérarchies (85 % de oui), ce qui fait d’autant plus ressortir l’autoritarisme de celles qui y mettent une interdiction de principe.

Sur l’axe de l’absurde, la palme de la justification kafkaïenne revient quand même à cette DRAC où on a opposé à un collègue « un seul jour flottant accordé car une plus grande présence au bureau est considérée comme nécessaire pour un chef de service – si ce n’est que je gère une équipe implantée sur plusieurs sites qui suppose un travail en distanciel permanent ».

 

Jours flottants

Les jours flottants constituent un problème à part. Ici non plus le propos n’est pas de noircir le tableau puisque 90 % des demandes de jours flottants sont satisfaites, mais ce très bon score met là encore d’autant plus en lumière des établissements où l’on vous répond tout de go : « Jours flottants refusés car trop compliqué de gérer le planning des agents » ou bien des différences de traitement difficilement justifiables, comme dans cette DRAC où « les jours flottants sont réservés aux personnels qui se déplacent » (tout cela bien sûr dans le registre du « on nous a dit »).

En fait, c’est l’extrême diversité des règles locales qui saute le plus aux yeux, à tel point qu’on peut se demander si celles et ceux qui les élaborent se parlent entre eux et s’il y a encore un peu de dialogue RH au niveau ministériel ou bien si chacun est encouragé à bricoler dans son coin. Dans tel EP « ils imposent deux jours maximum et en flottant uniquement », ailleurs : « Le jour fixe a été accepté, mais autorisation de deux jours flottants seulement par mois », ailleurs encore : « Les deux jours de TT fixes m’ont été refusés. Dans le service, c’est un jour fixe max et un jour flottant max ».

Bref, c’est un beau bazar, avec parfois des règles qui imposent une certaine gymnastique mathématique : « L’administration a fixé que le cadre possible était de huit jours par mois dont un jour fixe par semaine, ce qui revient environ à deux jours par semaine. »

Très remarqué, cet établissement où « En fait, ce n’est pas une répartition hebdomadaire mais un quota de six jours par mois ». Avec tout de même cette précision : « Le personnel administratif de l’institut auquel j’appartiens a droit à huit jours de télétravail par mois alors que le personnel scientifique n’a obtenu que six jours par mois. Méthode arbitraire et discriminatoire de la part de la hiérarchie.  »

 

Missions incompatibles

Rappelons que, selon les termes de l’accord interministériel du 13 juillet 2021, « L’éligibilité au télétravail se détermine par les activités exercées, et non par les postes occupés, ce qui nécessite une réflexion sur l’organisation du travail et sur la nature des missions exercées ». Cette distinction est d’importance et impose des discussions de fond dans le cadre des instances pour arriver à une détermination fine, partagée entre directions et personnels, des missions télétravaillables ou non.

Or, certains établissements (toujours un peu les mêmes en fait) semblent prendre ces discussions par dessus la jambe et préfèrent travailler en grosses masses, au détriment de certaines catégories de personnels (toujours les mêmes aussi). Ainsi, dans une grosse bibliothèque : « Il ne s’agit pas d’un désaccord mais d’une doctrine clairement énoncée :  les magasinier.es des bibliothèques ne peuvent télétravailler ». Dans une autre c’est juste un poil mieux : « La direction autorise uniquement un jour de télétravail par semaine pour les personnels faisant du service public ».

L’argument de l’emploi posté, en faisant l’impasse sur une réflexion sur les missions éventuellement non postées attachées à ces emplois, a un peu vite conduit certaines directions à considérer que des filières entières se trouvaient exclues du télétravail.

Mais dans d’autres établissements, ce sont les chefs à qui on refuse des jours de télétravail… parce qu’ils sont chefs : « Motif de l’annulation du télétravail : Manager les équipes ». On connaissait déjà le refus de temps partiel (« si vous voulez travailler à temps partiel, vous ne pouvez plus être responsable d’une équipe »), on a maintenant les refus de télétravail. Si le refus de temps partiel pouvait, dans certains cas, s’argumenter (une équipe peut avoir du mal à fonctionner avec un chef à mi-temps), cela ne tient pas avec le télétravail, sauf à considérer qu’un chef en télétravail ne travaille pas ou bien qu’un vrai chef doit être sur le dos de ses équipes en permanence.

Dans d’autres cas (apparemment rares), se sont les fonctions de secrétariat qui sont réputées ne pas pouvoir être télétravaillables.

Enfin, d’autres métiers (pas des missions, des métiers !) sont considérés comme non télétravaillables. L’INRAP, comme d’habitude bon dernier dans le dialogue social, a établi une liste de métiers (si si !) éligibles au télétravail, d’où sont exclus les GMC (gestionnaires des moyens des centres) comme si rien, dans la gestion des moyens logistiques, ne pouvait se faire à distance. Mais le même institut a aussi exclu les infographistes en prétextant l’absence de postes informatiques adéquats (on leur refuse des portables et du coup on leur refuse le télétravail : malin !)

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